dimanche 5 novembre 2017

Paula Modersohn-Becker (1876-1907), jeune et libre pour toujours

"Paula Modersohn-Becker (1876-1907), jeune et libre pour toujours" de Valérie Morales


"Il est bon de se libérer des situations qui nous prennent de l'air"

Voici le portrait d'une artiste éternellement jeune et passionnée, Paula Modersohn-Becker. 

En regardant le biopic "Paula" de Christian Schwochow, j'ai été touchée par la vie de cette jeune femme émancipée et libre qui n'a pas eu le temps d'accomplir son destin. 

Avec une détermination hors du commun, comme un présage, puisqu'elle avait si peu d'années à vivre, Paula Modersohn-Becker a brûlé sa vie par les deux bouts avec une fièvre créative peu commune et réalisé 750 oeuvres et un millier de dessins en moins de huit ans.

Précoce, voire visionnaire, elle annonce l'art expressionniste allemand qui allait éclore. Ouverte sur la culture moderne, cette jeune prodige sût imposer un style novateur et original issu de ses rencontres parisiennes à l'instar de ses confrères allemands plus académiques. Nourrie d'influences multiples on retrouve des aspects mêlant impressionnisme, nabisme, fauvisme mais aussi le cubisme dans son oeuvre.

Sa force de vie se retrouve dans la liberté de ton et de style qui malheureusement n'a pas eu le temps de faire école. Malgré une reconnaissance germanique tardive, elle reste assez méconnue dans les autres pays européens et en France. Telle une Camille Claudel, Paula Modersohn-Becker aurait-elle souffert d'une certaine misogynie ou de jalousie par ses pairs ?



Trois oeuvres reconnues et un enfant

"Je sais que je ne vivrai pas très longtemps. Mais est-ce si triste? Une fête est-elle meilleure parce qu'elle est plus longue? Ma vie est une fête, une fête courte et intense... Et si l'amour me fleurit encore un peu avant de s'envoler, et me fait réaliser trois bonnes peintures dans ma vie, je partirai volontiers, des fleurs aux mains et aux cheveux."

Recueillis dans le journal de Paula Modersohn Becker, ces mots suffisent à décrire le personnage qu'elle était et la liberté avec laquelle elle a vécu. Non comme une militante des droits de la femme mais comme une authentique femme libre, libre de toute contrainte, et conservant son libre arbitre dans ses choix de vie jusqu'à la fin...



Un style simple direct et vrai

L'académie des beaux arts n'étant pas accessible aux femmes à cette époque, elle étudia à l'école de Worpswede où elle rencontra entre autres le peintre paysagiste, Otto Modersohn, son futur mari. Très critiquée par ses professeurs qui trouvaient son style marginal, elle trouva sa propre identité malgré eux. Cependant, de cette période on retrouve des oeuvres où l'ont ressent une véritable proximité, et où l’empathie est immédiate par l'intensité du regard porté par la peintre sur ses sujets.
 
Les peintres de Worpswede exercaient leur art en pleine nature, sans artifice en donnant une image favorable de la vie paysanne qu'ils jugeaient pure et non corrompue par la civilisation. Dans cette région marécageuse au Nord Est de Brême, la nature est dépouillée, faite de landes humides de cours d'eau de dunes et de tourbières. Celle de Paula Modersohn-Becker est encore plus sobre, rude, proche de l'art primitif et restitué avec une grande poésie par la peintre qui sait en souligner la mélancolie extrême. 

Comme des instantanés, sans décor ni chichis, les peintures de Paula Modersohn Becker représentent des personnages dans des scènes de la vie quotidienne, mères allaitantes, enfants avec des chats dans les bras. Des clichés comme pris sur le vif, témoins authentiques d'une époque dans un environnement campagnard avec des gens simples. Ses personnages étaient peints sans complaisance, pas même pour le monde de l'enfance, représentés sans aucune sentimentalité, d'une manière brute, âpre, lui reprochait Otto Modersohn, son mari qui à la fin ne comprenait plus son style qui ne correspond pas aux canons artistiques de l'esthétique germanique de l'époque.

Il est vrai que les visages  sont simplifiés dans la forme et dans leurs couleurs, qu'elle réduit les traits du visage au strict nécessaire. Les scènes rurales sont d'un anti-romantisme assumé sans aucune idéologie sociale particulière.







"Etre ici est une splendeur" 

 "...Des mains comme des cuillères, des nez comme des massues, des bouches comme des plaies ouvertes, des expressions de crétins..." disait son mari juste avant qu'elle ne s'échappe pour Paris.

C'est en effet à Paris qu'elle s'affranchit le mieux fascinée par les avant gardes du début du XXème siècle, elle y fait de nombreux séjours et se retrouve au milieu de courants modernes près desquels elle se reconnaît. Gaughin, le Douanier Rousseau, Picasso, Cézanne, Rodin, mais également l'art Japonais influenceront chacun à leur manière ses dernières oeuvres.  

Pour son ami le poète Rainer Maria Rilke, Paula « peint sans égards ». Un compliment qui signifie qu’elle a trouvé ce qu’elle cherche : ne jamais faire de concession, un art apre qui ne cherche pas à se faire remarquer. Une beauté frugale. A la recherche de l'essence.

Sa peinture exigeante, sans filets et sans public, a suivi ses seules intuitions au prix d’un travail solitaire et éprouvant. 







Epilogue

"De son vivant, Paula Modersohn-Becker n’a exposé que cinq fois, toujours en groupe, et n’a vendu que trois toiles – à des amis qui voulaient surtout l’aider dans ses périodes de disette parisienne. 

 Dans la série des autoportraits présentés côte à côte, son terrain d’expérimentation par excellence, ses traits passent du rose au vert, du marron au violet, s’aplatissent et se déforment jusqu’à devenir des masques, comme le fait Picasso dans Les Demoiselles d’Avignon, peint en 1907, l’année de la mort de la jeune Allemande.

Cette année-là, elle se représente de pied en cap, grandeur nature, nue, le visage flou à la Bacon, solidement campée sur ses jambes telle une idole primitive. Elle est enceinte, et c’est la première fois qu’une artiste se représente ainsi, avec un ventre rond devenant le centre de gravité du tableau. L'année précédente, Paula Modersohn-Becker avait pris la décision de quitter son mari et de s’installer à Paris. Elle est revenue. Un an plus tard, en novembre 1907, elle met au monde un petite fille. L’accouchement a été difficile, elle a dû rester dix-huit jours alitée. 

Lorsqu’elle se lève, elle est foudroyée par une embolie. Elle meurt en prononçant un dernier mot : « dommage »…"

« Paula est une bulle entre les deux siècles. Elle peint, vite, comme un éclat », écrit Marie Darrieussecq dans la biographie qu'elle consacre à Paula Modersohn-Becker. Elle peint tellement vite que l'histoire de l'art n'a pas retenu son nom.
  

Extrait de "Requiem pour une amie", Rainer Maria Rilke, 1908



« Dis, dois-je voyager ? As-tu quelque part laissé une chose qui se désole

et aspire à te suivre ? Dois-je aller visiter un pays que tu ne vis jamais, quoiqu’il te fût apparenté comme l’autre moitié de tes sens ?

Je m’en irai naviguer sur ses fleuves, aux étapes

je m’enquerrai de coutumes anciennes,

je parlerai avec les femmes dans l’embrasure des portes,

je serai attentif quand elles appelleront leurs enfants.

[…]

Et des fruits, j’achèterai des fruits, où l’on retrouve la campagne, jusqu’au ciel.

Car à ceci tu t’entendais : les fruits dans leur plénitude.

Tu les posais sur des coupes devant toi,

tu en évaluais le poids par les couleurs.

Et comme des fruits aussi tu voyais les femmes,

tu voyais les enfants, modelés de l’intérieur

dans les formes de leur existence. »

Exposition Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (avril - août 2016)




Après une formation à Berlin, Paula Modersohn-Becker rejoint la communauté artistique de Worpswede, dans le nord de l’Allemagne. Très rapidement, elle s’en détache pour trouver d’autres sources d’inspiration. Fascinée par Paris et les avant-gardes du début du XXe siècle, elle y fait de nombreux séjours et découvre les artistes qu’elle admire (Rodin, Cézanne, Gauguin, Le Douanier Rousseau, Picasso, Matisse).


Résolument moderne et en avance sur son temps, Paula Modersohn-Becker offre une esthétique personnelle audacieuse. Si les thèmes sont caractéristiques de son époque (autoportraits, mère et enfant, paysages, natures mortes,…), sa manière de les traiter est éminemment novatrice. Ses œuvres se démarquent par une force d’expression dans la couleur, une extrême sensibilité et une étonnante capacité à saisir l’essence même de ses modèles. Plusieurs peintures jugées trop avant-gardistes furent d’ailleurs présentées dans l’exposition Art dégénéré à Munich organisée par les nazis en 1937.


Paula Modersohn-Becker s’affirme en tant que femme dans de nombreux autoportraits en se peignant dans l’intimité, sans aucune complaisance, toujours à la recherche de son for intérieur.


Elle entretient, tout au long de sa vie, une forte amitié avec le poète Rainer Maria Rilke. Leur correspondance et plusieurs œuvres en constituent de fascinants témoignages. Rilke rend hommage à l’artiste dans un poème, Requiem pour une amie, composé après sa mort à l’âge de 31 ans.


L’écrivaine Marie Darrieussecq porte un regard littéraire sur le travail de l’artiste en collaborant à l’exposition et au catalogue. Elle publie également sa première biographie en langue française, Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker (Éditions P.O.L, 2016). Commissaire de l’exposition: Julia Garimorth  



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