"Il est bon de se libérer des situations qui nous prennent de l'air"
Voici le portrait d'une artiste éternellement jeune et passionnée, Paula Modersohn-Becker.
En regardant le biopic "Paula" de Christian Schwochow, j'ai été touchée par la vie de cette jeune femme émancipée et libre qui n'a pas eu le temps d'accomplir son destin.
Avec une détermination hors du commun, comme un présage, puisqu'elle avait si peu d'années à vivre, Paula Modersohn-Becker a brûlé sa vie par les deux bouts avec une fièvre créative peu commune et réalisé 750 oeuvres et un millier de dessins en moins de huit ans.
Précoce, voire visionnaire, elle annonce l'art expressionniste allemand qui allait éclore. Ouverte sur la culture moderne, cette jeune prodige sût imposer un style novateur et original issu de ses rencontres parisiennes à l'instar de ses confrères allemands plus académiques. Nourrie d'influences multiples on retrouve des aspects mêlant impressionnisme, nabisme, fauvisme mais aussi le cubisme dans son oeuvre.
Sa force de vie se retrouve dans la liberté de ton et de style qui malheureusement n'a pas eu le temps de faire école. Malgré une reconnaissance germanique tardive, elle reste assez méconnue dans les autres pays européens et en France. Telle une Camille Claudel, Paula Modersohn-Becker aurait-elle souffert d'une certaine misogynie ou de jalousie par ses pairs ?
Trois oeuvres reconnues et un enfant
Recueillis dans le journal de Paula Modersohn Becker, ces mots suffisent à décrire le personnage qu'elle était et la liberté avec laquelle elle a vécu. Non comme une militante des droits de la femme mais comme une authentique femme libre, libre de toute contrainte, et conservant son libre arbitre dans ses choix de vie jusqu'à la fin...
Un style simple direct et vrai
L'académie des beaux arts n'étant pas accessible aux femmes à cette époque, elle étudia à l'école de Worpswede où elle rencontra entre autres le peintre paysagiste, Otto Modersohn, son futur mari. Très critiquée par ses professeurs qui trouvaient son style marginal, elle trouva sa propre identité malgré eux. Cependant, de cette période on retrouve des oeuvres où l'ont ressent une véritable proximité, et où l’empathie est immédiate par l'intensité du regard porté par la peintre sur ses sujets.
Les peintres de Worpswede exercaient leur art en pleine nature, sans artifice en donnant une image favorable de la vie paysanne qu'ils jugeaient pure et non corrompue par la civilisation. Dans cette région marécageuse au Nord Est de Brême, la nature est dépouillée, faite de landes humides de cours d'eau de dunes et de tourbières. Celle de Paula Modersohn-Becker est encore plus sobre, rude, proche de l'art primitif et restitué avec une grande poésie par la peintre qui sait en souligner la mélancolie extrême.
Comme des instantanés, sans décor ni chichis, les peintures de Paula Modersohn Becker représentent des personnages dans des scènes de la vie quotidienne, mères allaitantes, enfants avec des chats dans les bras. Des clichés comme pris sur le vif, témoins authentiques d'une époque dans un environnement campagnard avec des gens simples. Ses personnages étaient peints sans complaisance, pas même pour le monde de l'enfance, représentés sans aucune sentimentalité, d'une manière brute, âpre, lui reprochait Otto Modersohn, son mari qui à la fin ne comprenait plus son style qui ne correspond pas aux canons artistiques de l'esthétique germanique de l'époque.
Il est vrai que les visages sont simplifiés dans la forme et dans leurs couleurs, qu'elle réduit les traits du visage au strict nécessaire. Les scènes rurales sont d'un anti-romantisme assumé sans aucune idéologie sociale particulière.
"Etre ici est une splendeur"
"...Des mains comme des cuillères, des nez comme des massues, des bouches comme des plaies ouvertes, des expressions de crétins..." disait son mari juste avant qu'elle ne s'échappe pour Paris.
C'est en effet à Paris qu'elle s'affranchit le mieux fascinée par les avant gardes du début du XXème siècle, elle y fait de nombreux séjours et se retrouve au milieu de courants modernes près desquels elle se reconnaît. Gaughin, le Douanier Rousseau, Picasso, Cézanne, Rodin, mais également l'art Japonais influenceront chacun à leur manière ses dernières oeuvres.
Pour son ami le poète Rainer Maria Rilke, Paula « peint sans égards ». Un compliment qui signifie qu’elle a trouvé ce qu’elle cherche : ne jamais faire de concession, un art apre qui ne cherche pas à se faire remarquer. Une beauté frugale. A la recherche de l'essence.
Sa peinture exigeante, sans filets et sans public, a suivi ses seules intuitions au prix d’un travail solitaire et éprouvant.
Epilogue
"De son vivant, Paula Modersohn-Becker n’a exposé que cinq fois, toujours en groupe, et n’a vendu que trois toiles – à des amis qui voulaient surtout l’aider dans ses périodes de disette parisienne.
Dans la série des autoportraits présentés côte à côte, son terrain d’expérimentation par excellence, ses traits passent du rose au vert, du marron au violet, s’aplatissent et se déforment jusqu’à devenir des masques, comme le fait Picasso dans Les Demoiselles d’Avignon, peint en 1907, l’année de la mort de la jeune Allemande.
Cette année-là, elle se représente de pied en cap, grandeur nature, nue, le visage flou à la Bacon, solidement campée sur ses jambes telle une idole primitive. Elle est enceinte, et c’est la première fois qu’une artiste se représente ainsi, avec un ventre rond devenant le centre de gravité du tableau. L'année précédente, Paula Modersohn-Becker avait pris la décision de quitter son mari et de s’installer à Paris. Elle est revenue. Un an plus tard, en novembre 1907, elle met au monde un petite fille. L’accouchement a été difficile, elle a dû rester dix-huit jours alitée.
Lorsqu’elle se lève, elle est foudroyée par une embolie. Elle meurt en prononçant un dernier mot : « dommage »…"
Extrait de "Requiem pour une amie", Rainer Maria Rilke, 1908
« Dis, dois-je voyager ? As-tu quelque part laissé une chose qui se désole
et aspire à te suivre ? Dois-je aller visiter un pays que tu ne vis jamais, quoiqu’il te fût apparenté comme l’autre moitié de tes sens ?
Je m’en irai naviguer sur ses fleuves, aux étapes
je m’enquerrai de coutumes anciennes,
je parlerai avec les femmes dans l’embrasure des portes,
je serai attentif quand elles appelleront leurs enfants.
[…]
Et des fruits, j’achèterai des fruits, où l’on retrouve la campagne, jusqu’au ciel.
Car à ceci tu t’entendais : les fruits dans leur plénitude.
Tu les posais sur des coupes devant toi,
tu en évaluais le poids par les couleurs.
Et comme des fruits aussi tu voyais les femmes,
tu voyais les enfants, modelés de l’intérieur
dans les formes de leur existence. »
Exposition Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (avril - août 2016)
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