jeudi 30 novembre 2017

Michel Rabanelly, peintre pictophage, dit "Raba"





Michel Rabanelly, peintre pictophage dit "Raba"


Sa première oeuvre c'est la baie de Nice qui lui a apportée presque sur un plateau. Sur la plage, l'enfant récupérait les galets lisses. Mais c'étaient des yeux égyptiens qu'il y dessinait. Ses premières oeuvres vendues ce furent ces galets et sa première muse, l'Afrique, qu'il a pourtant si peu connue. 
"J'ai toujours été connecté à l'Afrique d'une manière ou d'une autre". Est-ce lié à son grand-père qui y construisait des ponts ? 
En fait toute sa vie a été marquée par cette influence et le fait osciller entre cette terre où il est né et Nice qui l'a accueilli.

A propos de lui-même, Michel Rabanelly, n'est pas très éloquent. C'est un homme authentique, pragmatique même, qui ne cherche pas à se mettre en avant. Quand on le voit pour la première fois on est surpris par sa simplicité, avec un mélange de délicatesse et de courtoisie, dans sa manière d'être.

Pas besoin de prouver, pas besoin de gloire, ni de lumière, quand on rayonne déjà !

A nous donc de chercher à imaginer qui est véritablement Raba, reconstituer la personnalité de l'homme, ses désirs d'artiste, ses messages...

Issu d'une famille aux origines à la fois françaises, espagnoles et pied noir, il a probablement ce culte de la famille et des valeurs patriarcales qu'on y inculque de génération en génération. Les hommes sont fiers protecteurs et épicuriens à la fois. Ils enseignent à leurs enfants l'amour de la vie, de la fête. Tout comme le sens de l'amitié.

Creusant le refoulement de leurs émotions dans la pudeur ou les transcendant dans l'expression artistique, certains, comme Raba, y trouvent une véritable place.

"Transmettre, oui. C'est le fil directeur. Partager, être le relais... Et puis prendre le temps...." C'est ainsi qu'il voit son art. 




Le monde selon Raba

" le peintre est un ogre, dévore tout, transfigure la réalité et devient pictophage". 

C'est ainsi qu'il définit sa vision de l'art. 
Il est surprenant de voir à quel point Raba peut être paradoxal dans ses oeuvres.

Est ce lié à son désir d'exploration, à sa culture ou à sa personnalité profonde ? C'est l'art protéiforme qui l'intéresse et l'appelle.

Raba, joue avec les thèmes comme un enfant décide à un moment de jouer avec ses vieux legos puis subitement les délaisse pour son ordinateur.

Dans son univers ludique et joyeux, il représente nos héros favoris, tous ces mythes qui n'ont pas d'âge : de Buggs Bunny à Maitre Yoda en passant par les comics des années 60, Hello Kitty, Mickey, Felix le chat, les teletubbies... des images moyen-âgeuses aux symboles qu'il soient francs-maçons ou de toute autre nature.

Jonglant avec les personnages, les couleurs et les mots, son oeuvre inclassable, post moderne, issue de l'art conceptuel s'inscrit également dans la mouvance des artistes libres de l'école de Nice.

C'est la partie la plus mystérieuse de sa personnalité, gentiment provocatrice, avec un humour caustique, une sorte de naïve perversité propre aux enfants.

L'artiste traverse sans faillir le monde tendre et innocent de l'enfance pour atteindre celui plus sombre et plus corrosif des adultes, mêlant parfois les deux pour mieux nous dérouter. De la lumière à la force obscure, Raba, nous emmène dans un lieu intemporel où l'irréel s'imbrique avec le monde réel.

Artiste multi-talent il jongle avec les genres et les métiers avec une insatiable curiosité et traverse la vie avec une variété de découvertes jamais totalement assouvies. En fait c'est un electron libre, tout simplement.

Amoureux de l'image avant toute chose, il aime faire des montages, la travailler, la déformer, la colorier, constituant un patchwork de plusieurs éléments informatifs. Associant des personnages clefs dessinés ou reproduits au pochoir à des notions symboliques à messages.
La lecture y est toujours à plusieurs niveaux, qu'elle soit écrite ou dessinée.

C'est ainsi qu'il se téléporte d'un monde à un autre.


De l'illustrateur au graphiste, du peintre au sculpteur, du dessin au lettrisme, il explore aussi le monde de la presse, comme celui de la publicité avec la même aisance.
De l'artiste peintre à l'éditeur, c'est cette impression de facilité dans l'apparente simplicité de Michel Rabanelly qui en définitive séduit et rassure.

Homme de la terre il puise son inspiration dans des valeurs profondément ancrées en lui : ses racines et l'amour de sa famille.












Biographie

Michel Rabanelly dit "Raba" est né le 24 avril 1957 à Rabat au Maroc. De nationalité française, il vit à Nice depuis son plus jeune age. Peintre, illustrateur et graphiste, il est également reconnu dans le milieu de la publicité et de l'édition.

Déjà très créatif enfant, c'est très naturellement qu'en 1975 à 1980 il intègre "l'Ecole Nationale des arts décoratifs" à La Villa Arson de Nice.

Au département communication, il fait une thèse sur le tatouage.

Puis il travaille comme pigiste en tant qu'illustrateur.

Finalement , il part à la rencontre des grands éditeurs sur Paris et se retrouve rapidement à travailler avec Michel Guire Vaka, illustrateur renommé qui lui permet de faire son premier dessin pour le magazine "Le Monde" . Propulsé grâce à cette illustration, il commence une carrière dans la presse féminine (Vogue, Marie Claire...), économique (l'Expansion, le Point...) comme pigiste, puis dans la publicité jusqu'en 1996.

Reconnu pour ses illustrations dans le milieu de la presse et de la publicité (Le Monde, Cosmopolitan, Biba, 20ans, L'Expansion, la FNAC, Castorama, Nestlé, Kronenbourg, les Champagnes Pommery, Le Printemps, Carrefour, Conforama, Leclerc, le Salon Nautique de Paris, la Ville de Paris / la Société des Bains de Mer à Monaco, Renault, France Télécom...), ce "fils de pub", très inspiré par les images populaires, s'oriente vers la peinture dès 1996 et crée parallèlement, une œuvre atypique et inclassable.

A cette époque il est sérigraphe et possède un grand atelier à Paris. Proche du Street Art, il y rencontre beaucoup d'artistes dans les salons professionnels et réalise même une série de toiles avec Monsieur Chat.
En 1989, il crée les éditions Michel Rabanelly et édite des artistes issus de l'art Brut et de l'art contemporain (Joel Ducorroy, Michel Macreau , Ody Saban, Paella Chimicos, reconnus dans le monde de la Sérigraphie et surtout Speedy Graphito).

Michel Rabanelly se consacre à la peinture depuis 20 ans, mais c'est également un photographe, céramiste, graveur, lithographe, et il écrit.

Grand témoin de notre époque, il tisse une oeuvre à la fois entre culture pop et art graphique, issue de la culture GEEK et du zapping.






Dernière Exposition : CRAIT & MULLER
ART URBAIN : Graffiti & Street Art + Génération Bataclan
le 20 novembre 2017 - Drouot Richelieu - rue Drouot 75009 Paris








dimanche 5 novembre 2017

Paula Modersohn-Becker (1876-1907), jeune et libre pour toujours

"Paula Modersohn-Becker (1876-1907), jeune et libre pour toujours" de Valérie Morales


"Il est bon de se libérer des situations qui nous prennent de l'air"

Voici le portrait d'une artiste éternellement jeune et passionnée, Paula Modersohn-Becker. 

En regardant le biopic "Paula" de Christian Schwochow, j'ai été touchée par la vie de cette jeune femme émancipée et libre qui n'a pas eu le temps d'accomplir son destin. 

Avec une détermination hors du commun, comme un présage, puisqu'elle avait si peu d'années à vivre, Paula Modersohn-Becker a brûlé sa vie par les deux bouts avec une fièvre créative peu commune et réalisé 750 oeuvres et un millier de dessins en moins de huit ans.

Précoce, voire visionnaire, elle annonce l'art expressionniste allemand qui allait éclore. Ouverte sur la culture moderne, cette jeune prodige sût imposer un style novateur et original issu de ses rencontres parisiennes à l'instar de ses confrères allemands plus académiques. Nourrie d'influences multiples on retrouve des aspects mêlant impressionnisme, nabisme, fauvisme mais aussi le cubisme dans son oeuvre.

Sa force de vie se retrouve dans la liberté de ton et de style qui malheureusement n'a pas eu le temps de faire école. Malgré une reconnaissance germanique tardive, elle reste assez méconnue dans les autres pays européens et en France. Telle une Camille Claudel, Paula Modersohn-Becker aurait-elle souffert d'une certaine misogynie ou de jalousie par ses pairs ?



Trois oeuvres reconnues et un enfant

"Je sais que je ne vivrai pas très longtemps. Mais est-ce si triste? Une fête est-elle meilleure parce qu'elle est plus longue? Ma vie est une fête, une fête courte et intense... Et si l'amour me fleurit encore un peu avant de s'envoler, et me fait réaliser trois bonnes peintures dans ma vie, je partirai volontiers, des fleurs aux mains et aux cheveux."

Recueillis dans le journal de Paula Modersohn Becker, ces mots suffisent à décrire le personnage qu'elle était et la liberté avec laquelle elle a vécu. Non comme une militante des droits de la femme mais comme une authentique femme libre, libre de toute contrainte, et conservant son libre arbitre dans ses choix de vie jusqu'à la fin...



Un style simple direct et vrai

L'académie des beaux arts n'étant pas accessible aux femmes à cette époque, elle étudia à l'école de Worpswede où elle rencontra entre autres le peintre paysagiste, Otto Modersohn, son futur mari. Très critiquée par ses professeurs qui trouvaient son style marginal, elle trouva sa propre identité malgré eux. Cependant, de cette période on retrouve des oeuvres où l'ont ressent une véritable proximité, et où l’empathie est immédiate par l'intensité du regard porté par la peintre sur ses sujets.
 
Les peintres de Worpswede exercaient leur art en pleine nature, sans artifice en donnant une image favorable de la vie paysanne qu'ils jugeaient pure et non corrompue par la civilisation. Dans cette région marécageuse au Nord Est de Brême, la nature est dépouillée, faite de landes humides de cours d'eau de dunes et de tourbières. Celle de Paula Modersohn-Becker est encore plus sobre, rude, proche de l'art primitif et restitué avec une grande poésie par la peintre qui sait en souligner la mélancolie extrême. 

Comme des instantanés, sans décor ni chichis, les peintures de Paula Modersohn Becker représentent des personnages dans des scènes de la vie quotidienne, mères allaitantes, enfants avec des chats dans les bras. Des clichés comme pris sur le vif, témoins authentiques d'une époque dans un environnement campagnard avec des gens simples. Ses personnages étaient peints sans complaisance, pas même pour le monde de l'enfance, représentés sans aucune sentimentalité, d'une manière brute, âpre, lui reprochait Otto Modersohn, son mari qui à la fin ne comprenait plus son style qui ne correspond pas aux canons artistiques de l'esthétique germanique de l'époque.

Il est vrai que les visages  sont simplifiés dans la forme et dans leurs couleurs, qu'elle réduit les traits du visage au strict nécessaire. Les scènes rurales sont d'un anti-romantisme assumé sans aucune idéologie sociale particulière.







"Etre ici est une splendeur" 

 "...Des mains comme des cuillères, des nez comme des massues, des bouches comme des plaies ouvertes, des expressions de crétins..." disait son mari juste avant qu'elle ne s'échappe pour Paris.

C'est en effet à Paris qu'elle s'affranchit le mieux fascinée par les avant gardes du début du XXème siècle, elle y fait de nombreux séjours et se retrouve au milieu de courants modernes près desquels elle se reconnaît. Gaughin, le Douanier Rousseau, Picasso, Cézanne, Rodin, mais également l'art Japonais influenceront chacun à leur manière ses dernières oeuvres.  

Pour son ami le poète Rainer Maria Rilke, Paula « peint sans égards ». Un compliment qui signifie qu’elle a trouvé ce qu’elle cherche : ne jamais faire de concession, un art apre qui ne cherche pas à se faire remarquer. Une beauté frugale. A la recherche de l'essence.

Sa peinture exigeante, sans filets et sans public, a suivi ses seules intuitions au prix d’un travail solitaire et éprouvant. 







Epilogue

"De son vivant, Paula Modersohn-Becker n’a exposé que cinq fois, toujours en groupe, et n’a vendu que trois toiles – à des amis qui voulaient surtout l’aider dans ses périodes de disette parisienne. 

 Dans la série des autoportraits présentés côte à côte, son terrain d’expérimentation par excellence, ses traits passent du rose au vert, du marron au violet, s’aplatissent et se déforment jusqu’à devenir des masques, comme le fait Picasso dans Les Demoiselles d’Avignon, peint en 1907, l’année de la mort de la jeune Allemande.

Cette année-là, elle se représente de pied en cap, grandeur nature, nue, le visage flou à la Bacon, solidement campée sur ses jambes telle une idole primitive. Elle est enceinte, et c’est la première fois qu’une artiste se représente ainsi, avec un ventre rond devenant le centre de gravité du tableau. L'année précédente, Paula Modersohn-Becker avait pris la décision de quitter son mari et de s’installer à Paris. Elle est revenue. Un an plus tard, en novembre 1907, elle met au monde un petite fille. L’accouchement a été difficile, elle a dû rester dix-huit jours alitée. 

Lorsqu’elle se lève, elle est foudroyée par une embolie. Elle meurt en prononçant un dernier mot : « dommage »…"

« Paula est une bulle entre les deux siècles. Elle peint, vite, comme un éclat », écrit Marie Darrieussecq dans la biographie qu'elle consacre à Paula Modersohn-Becker. Elle peint tellement vite que l'histoire de l'art n'a pas retenu son nom.
  

Extrait de "Requiem pour une amie", Rainer Maria Rilke, 1908



« Dis, dois-je voyager ? As-tu quelque part laissé une chose qui se désole

et aspire à te suivre ? Dois-je aller visiter un pays que tu ne vis jamais, quoiqu’il te fût apparenté comme l’autre moitié de tes sens ?

Je m’en irai naviguer sur ses fleuves, aux étapes

je m’enquerrai de coutumes anciennes,

je parlerai avec les femmes dans l’embrasure des portes,

je serai attentif quand elles appelleront leurs enfants.

[…]

Et des fruits, j’achèterai des fruits, où l’on retrouve la campagne, jusqu’au ciel.

Car à ceci tu t’entendais : les fruits dans leur plénitude.

Tu les posais sur des coupes devant toi,

tu en évaluais le poids par les couleurs.

Et comme des fruits aussi tu voyais les femmes,

tu voyais les enfants, modelés de l’intérieur

dans les formes de leur existence. »

Exposition Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris (avril - août 2016)




Après une formation à Berlin, Paula Modersohn-Becker rejoint la communauté artistique de Worpswede, dans le nord de l’Allemagne. Très rapidement, elle s’en détache pour trouver d’autres sources d’inspiration. Fascinée par Paris et les avant-gardes du début du XXe siècle, elle y fait de nombreux séjours et découvre les artistes qu’elle admire (Rodin, Cézanne, Gauguin, Le Douanier Rousseau, Picasso, Matisse).


Résolument moderne et en avance sur son temps, Paula Modersohn-Becker offre une esthétique personnelle audacieuse. Si les thèmes sont caractéristiques de son époque (autoportraits, mère et enfant, paysages, natures mortes,…), sa manière de les traiter est éminemment novatrice. Ses œuvres se démarquent par une force d’expression dans la couleur, une extrême sensibilité et une étonnante capacité à saisir l’essence même de ses modèles. Plusieurs peintures jugées trop avant-gardistes furent d’ailleurs présentées dans l’exposition Art dégénéré à Munich organisée par les nazis en 1937.


Paula Modersohn-Becker s’affirme en tant que femme dans de nombreux autoportraits en se peignant dans l’intimité, sans aucune complaisance, toujours à la recherche de son for intérieur.


Elle entretient, tout au long de sa vie, une forte amitié avec le poète Rainer Maria Rilke. Leur correspondance et plusieurs œuvres en constituent de fascinants témoignages. Rilke rend hommage à l’artiste dans un poème, Requiem pour une amie, composé après sa mort à l’âge de 31 ans.


L’écrivaine Marie Darrieussecq porte un regard littéraire sur le travail de l’artiste en collaborant à l’exposition et au catalogue. Elle publie également sa première biographie en langue française, Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker (Éditions P.O.L, 2016). Commissaire de l’exposition: Julia Garimorth